L’ère Edo s’éteint dans un crépuscule sanglant, tandis que l’Occident enfonce les portes d’un Japon réticent à s’ouvrir. Sur les routes poussiéreuses menant à Kyoto et Yokohama, des guerriers sans maître errent, témoins impuissants d’un monde qui vacille entre tradition et modernité. C’est dans ce tumulte que Rise of the Ronin, développé par Team Ninja, vous projette, vous plaçant au cœur d’un pays au bord de la révolution.
Sorti sur PC le 10 mars 2025, après une première apparition sur PlayStation 5 en 2024, ce jeu d’action-RPG ambitionne de conjuguer l’intensité du combat des Nioh avec la liberté d’un monde ouvert. Entre fidélité historique et enjeux narratifs, entre lames effilées et balles de mousquets, peut-on encore être un samouraï dans un pays qui n’en veut plus ?
L’illusion du Bushido dans un monde en cendres
Dans Rise of the Ronin, vous incarnez un Bakumatsu Ronin, un guerrier sans maître évoluant dans les dernières années de l’époque Edo, alors que le Japon vacille sous les coups de boutoir du progrès occidental et des guerres intestines. Entre les Shogunaux déclinants, les clans samouraïs en quête de survie et l’influence grandissante des puissances étrangères, votre destin s’écrit dans le sang, les cendres et les choix impossibles.
Team Ninja ancre son récit dans une réalité historique marquée par la guerre de Boshin (1868-1869), conflit ayant opposé les forces impériales aux derniers fidèles du Shogun Tokugawa. Contrairement aux épopées romanesques idéalisant la figure du samouraï, Rise of the Ronin montre une caste en déclin, gangrenée par la corruption et l’incapacité à s’adapter à un monde qui change trop vite. Chaque rencontre, chaque combat est empreint de cette fatalité : les temps modernes n’ont plus besoin de guerriers attachés au Bushido.
L’histoire est portée par une galerie de personnages inspirés de figures historiques. Ryōma Sakamoto, partisan du progrès et de l’ouverture, croise le fer idéologique avec Toshizō Hijikata, vice-commandant du Shinsengumi, résolu à défendre le shogunat jusqu’au bout. Entre ces extrêmes, vous tracez votre propre voie, formant alliances ou trahisons, influençant l’issue du conflit par vos choix. Mais ces décisions sont-elles réellement vôtres, ou ne faites-vous que retarder l’inéluctable disparition des samouraïs ?
La narration, bien que solide dans son contexte historique, souffre d’un rythme inégal, éclipsée par l’accent mis sur l’exploration et l’action. Certaines quêtes secondaires manquent de profondeur, répétant des schémas connus : livrer des messages, protéger des villageois, éliminer des groupes d’ennemis… Si elles enrichissent le contexte, elles peinent à égaler la richesse des intrigues principales, qui, elles, se distinguent par des dialogues ciselés et une tension dramatique saisissante.
Vous n’êtes pas un héros dans Rise of the Ronin. Vous êtes un vestige d’un temps révolu, un combattant dont l’existence même est une anomalie dans un Japon qui se dépouille de son passé. Et si votre lame trouve encore une raison d’être, ce n’est qu’un sursis, un dernier éclat d’acier avant que la modernité ne vous efface.
Entre maîtrise et chaos
Dans Rise of the Ronin, chaque combat est un rite de passage, une danse mortelle où chaque coup d’épée se doit d’être calculé, chaque esquive parfaitement exécutée. Team Ninja, maître dans l’art du combat technique avec Nioh et Wo Long: Fallen Dynasty, affine ici une formule qui privilégie la précision et la réactivité. Vous ne pouvez pas vous contenter de frapper au hasard : face à un adversaire entraîné, une attaque mal placée vous expose immédiatement à une riposte létale.
Le système de combat repose sur plusieurs styles, que vous pouvez adapter à votre guise en fonction de votre arme et de votre adversaire. Le sabre katana classique privilégie l’équilibre entre attaque et défense, tandis que la lance offre une portée avantageuse mais demande une plus grande anticipation. La grande nouveauté vient de l’introduction des armes à feu, symboles de la modernité naissante. Mousquets, pistolets et fusils occidentaux permettent d’éliminer des cibles à distance ou de déstabiliser un ennemi avant un assaut. Ces armes, bien que redoutables, restent limitées par leur lenteur de rechargement, forçant à ne les utiliser qu’au bon moment.
Mais la véritable subtilité du système réside dans la parade et la posture, empruntant des éléments aux Soulsborne. Un contre parfaitement synchronisé brise la garde ennemie et ouvre une fenêtre d’attaque mortelle. Cette mécanique, exigeante mais gratifiante, renforce la tension des affrontements : chaque combat peut être expédié en quelques secondes… ou se transformer en une lutte désespérée contre un adversaire implacable.
L’exploration joue un rôle central dans Rise of the Ronin. Contrairement aux niveaux cloisonnés de Nioh, ce nouvel opus adopte une structure en monde ouvert, offrant une reconstitution saisissante du Japon du XIXᵉ siècle. Kyoto, Yokohama et Edo se dévoilent avec une authenticité rare, entre ruelles animées, temples en déclin et ports en pleine effervescence. Vous êtes libre d’arpenter ces décors, à pied ou à cheval, mais aussi grâce à un grappin, qui dynamise les déplacements en permettant d’atteindre des hauteurs stratégiques.
Pourtant, si cette liberté séduit, elle est parfois entravée par des activités annexes répétitives, symptomatiques des mondes ouverts modernes. Protéger un convoi, capturer des avant-postes ennemis, secourir des villageois… ces missions peinent à se renouveler et donnent rapidement une impression de remplissage. Le jeu brille davantage lorsqu’il propose des missions scénarisées plus intenses, où infiltration, duels et tensions politiques se mêlent dans des situations uniques.
L’intelligence artificielle des ennemis est redoutable en duel, capable d’anticiper vos attaques et de punir toute erreur. Cependant, lorsqu’ils sont en surnombre, certains adversaires souffrent d’un manque de coordination, donnant lieu à des comportements étranges où ils hésitent à attaquer ou se bloquent entre eux. Ce contraste entre l’intensité des combats solo et l’incohérence des batailles de groupe nuit quelque peu à la cohérence de l’expérience.
Rise of the Ronin exige patience et discipline. C’est un jeu qui vous pousse à maîtriser votre art, à comprendre chaque mouvement de votre adversaire, à incarner un guerrier qui sait que chaque duel peut être son dernier. Une brutalité à la hauteur de l’époque qu’il dépeint.
Les derniers feux du soleil couchant
Rise of the Ronin esquisse un Japon déchiré entre tradition et modernité, un pays où les lanternes des temples vacillent sous la lumière naissante des réverbères occidentaux. Team Ninja façonne ici une reconstitution saisissante de l’ère Bakumatsu, où chaque décor raconte la transition brutale d’un monde en mutation. Kyoto, Edo et Yokohama prennent vie sous vos yeux, offrant des panoramas contrastés où les rizières paisibles côtoient les ruelles crasseuses des quartiers marchands, et où les forts shogunaux se dressent face aux bateaux noirs des étrangers venus imposer leur influence.
Les jeux de lumière et de météo dynamique subliment cette fresque, jouant avec les ombres et les teintes orangées du crépuscule. La pluie détrempe les routes boueuses, les orages grondent au loin, et le soleil, lorsqu’il perce entre les nuages, baigne les toits en tuiles d’un éclat mélancolique. Visuellement, Rise of the Ronin se hisse parmi les plus belles productions de Team Ninja, bien que certaines textures, en particulier sur PC, souffrent d’un manque de finesse notable lorsque l’on s’éloigne des personnages principaux.
Le charadesign suit cette même logique d’authenticité, avec des vêtements et armures minutieusement détaillés. Les visages, marqués par la rudesse de l’époque, expriment un réalisme convaincant, bien que certaines animations faciales restent rigides, en particulier lors des dialogues secondaires. Ce soin du détail s’étend également aux ennemis, dont les postures et équipements varient en fonction de leur faction : soldats impériaux disciplinés, samouraïs fidèles au shogunat ou mercenaires désespérés prêts à tout pour survivre.
Côté bande-son, Rise of the Ronin se pare de compositions mêlant instruments traditionnels et orchestrations épiques. Le shamisen résonne dans les moments de tension, tandis que les tambours taiko battent au rythme des combats. Certains morceaux empruntent même des sonorités occidentales, traduisant l’influence grandissante des puissances étrangères sur le Japon. Ce contraste musical accompagne intelligemment l’ambiance du jeu, soulignant le déchirement culturel au cœur du récit.
Les bruits d’ambiance jouent un rôle crucial dans l’immersion : le crépitement du feu dans un dojo abandonné, le cliquetis métallique d’une armure lorsque vous vous déplacez, les voix étouffées des marchands discutant des nouvelles lois impériales… Tout participe à cette sensation de vie qui rend le monde crédible. Les combats, eux, sont marqués par un design sonore tranchant, où chaque coup d’épée claque avec violence, où l’impact d’une balle de mousquet brise le silence avec une brutalité saisissante.
Le doublage, quant à lui, offre un choix entre japonais et anglais, bien que la version originale reste la plus immersive, portée par des interprètes qui insufflent à leurs personnages une profondeur dramatique indéniable. Certains dialogues souffrent toutefois d’un rythme artificiel, conséquence de transitions parfois abruptes entre les répliques.
Les cicatrices du portage
Si Rise of the Ronin brille par son ambiance immersive et ses mécaniques de combat affûtées, la version PC n’échappe pas aux écueils techniques qui accompagnent trop souvent les portages récents. Des chutes de framerate inexpliquées, des textures tardant à se charger et des bugs visuels viennent perturber une expérience pourtant ambitieuse. Si Team Ninja a promis des correctifs rapides, l’optimisation actuelle peine à convaincre, en particulier sur des configurations pourtant robustes.
Les temps de chargement, bien que réduits grâce aux SSD modernes, sont parfois plus longs que sur PlayStation 5, un comble pour une version censée exploiter la puissance accrue du PC. De plus, des crashs aléatoires et des corruptions de sauvegarde arrivent sporadiquement, un problème critique qui pourrait entacher la longévité du titre tant que des patchs correctifs ne seront pas déployés.
Côté personnalisation des commandes, Rise of the Ronin offre un support complet du clavier et de la souris, mais l’expérience reste clairement pensée pour la manette. La gestion de la caméra et certaines interactions en combat manquent de fluidité lorsqu’on abandonne le pad, ce qui peut frustrer ceux qui privilégient un gameplay PC traditionnel.
L’absence de mode multijoueur peut surprendre dans une ère où la coopération est devenue monnaie courante, mais ce choix s’inscrit dans la logique du jeu : Rise of the Ronin est une expérience solitaire, intime, centrée sur le destin d’un seul homme dans un Japon qui vacille.
Enfin, sur le plan de la rejouabilité, le jeu offre une richesse narrative modulable grâce aux choix qui influencent certains événements et personnages. Plusieurs fins sont possibles, incitant à recommencer l’aventure sous un nouvel angle, bien que le manque de variation dans les quêtes secondaires puisse freiner l’envie d’un second run immédiat.
Si Rise of the Ronin marque une étape importante dans la transition de Team Ninja vers le monde ouvert, le portage PC souffre de trop d’irrégularités techniques pour être pleinement apprécié sans mises à jour majeures. Un diamant brut, encore prisonnier de ses impuretés.
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