Parfois, il suffit d’un battement d’ailes, d’un froissement de page ou d’une étincelle au creux de la nuit pour qu’un univers entier prenne forme, fragile et palpitant. Dans Pilo and the Holobook, développé par Mudita Games et porté sur Nintendo Switch par RedDeer.Games le 10 avril 2025, il n’est plus question d’épées légendaires ou de conquêtes grandioses : seulement d’un petit fennec, Pilo, en quête d’histoires perdues, armé d’un livre aux pouvoirs insoupçonnés.
Au fil d’une odyssée à travers des planètes au bord de l’oubli, où les souvenirs se dispersent comme des feuilles mortes sous un vent d’apocalypse, vous serez conviés à un voyage où la curiosité est une arme, et l’imaginaire un bouclier contre le vide.
Pourtant, sous ses airs de fable innocente, ce jeu est-il seulement une promenade de santé pour jeunes rêveurs ? Ou bien cache-t-il, entre ses pages écornées et ses constellations ternies, un appel plus profond – celui, peut-être, d’une enfance que l’on refuse de laisser mourir ?
La réponse se trouve quelque part entre la dernière étoile et la première page tournée.
Encore faut-il oser ouvrir le Holobook.
Dans l’ombre du Professeur, les étoiles chuchotent encore
Dans Pilo and the Holobook, vous incarnez un jeune fennec à l’âme curieuse, projeté au cœur d’un cosmos en miettes. Pilo n’est pas un héros bardé d’armures ou un élu désigné par des prophéties oubliées ; il est un être frêle, fragile, mû par l’ardent besoin de comprendre, de préserver ce qui peut encore l’être. À ses côtés, le Professeur Chiron, mentor aussi bienveillant qu’énigmatique, trace les contours d’une relation subtilement écrite, oscillant entre pédagogie douce et nostalgie voilée.
L’histoire, sous ses allures de conte léger, s’inscrit dans une veine plus mélancolique qu’il n’y paraît. Chaque planète que vous explorez est un fragment de mémoire fossilisé, une tentative désespérée de capturer ce qui s’efface inexorablement. Chaque rencontre, chaque découverte est une page arrachée au livre immense du vivant. Pourtant, loin de sombrer dans un pathos écrasant, Pilo and the Holobook distille ses thèmes avec une tendresse désarmante : la préservation, l’émerveillement face au petit, au banal devenu miraculeux, mais aussi la perte inévitable de ce que l’on n’a pas su retenir.
Le duo Pilo-Chiron, porté par des dialogues sobres mais justes, esquisse une dynamique touchante, bien que volontairement esquissée, laissant au joueur la place d’y projeter ses propres souvenirs d’apprentissages, de mentors et de mondes intérieurs engloutis. Les personnages secondaires, souvent réduits à des silhouettes de passage, participent à cette impression d’un monde en train de s’effacer : pas d’alliés flamboyants, pas d’antagonistes caricaturaux, seulement des bribes de vies éparpillées à recoller avant que l’oubli ne les emporte.
Dans cet écosystème fragile où chaque autocollant récupéré devient un acte de résistance contre l’oubli, Pilo and the Holobook raconte bien plus que l’aventure d’un petit fennec. Il célèbre la mémoire des choses simples, l’importance de regarder autour de soi avant que tout ne disparaisse dans le silence stellaire.
Quand chaque pas devient une page et chaque saut une prière
Le cœur de Pilo and the Holobook bat au rythme d’un gameplay volontairement épuré, presque contemplatif. À travers une série de planètes miniatures aux écosystèmes distincts, vous êtes invités non pas à conquérir ou dominer, mais à observer, collecter et retranscrire. À l’aide de votre Holobook, chaque découverte – animal, plante, curiosité – se transforme en un autocollant, petite relique graphique venant enrichir votre précieuse encyclopédie.
Le jeu repose sur une structure d’exploration douce, découpée en zones semi-ouvertes où chaque recoin murmure une histoire à qui sait tendre l’oreille. Ici, pas de combats frénétiques, pas de dangers mortels tapis sous chaque pierre : seulement des énigmes discrètes, des mécanismes à activer, des objets à combiner, toujours dans une logique d’apprentissage et de soin. Le Holobook, loin d’être un simple gadget, devient un prolongement du regard, une métaphore tangible de l’acte de mémoire, où chaque entrée est une victoire contre l’érosion du monde.
La navigation sur ces planètes flottantes exige une certaine agilité : sauts précis, dashs aériens, manipulation d’objets légers – autant de gestes simples mais exigeant une lecture fine de l’environnement. Le level design, tout en rondeurs et en verticalité contenue, incite à la curiosité méthodique plutôt qu’à la précipitation. Chaque nouvelle planète, chaque biome dévoilé, renouvelle la palette d’actions possibles sans jamais alourdir l’expérience par des systèmes artificiellement complexes.
C’est un parti-pris courageux : celui de laisser l’espace au joueur. L’espace d’observer sans être interrompu. L’espace de s’interroger sur ce qu’il voit, sur ce qu’il consigne. À l’image de son univers diaphane, Pilo and the Holobook refuse les mécaniques superflues et préfère tisser, fil après fil, une toile de gameplay organique où la découverte est sa propre récompense.
Cependant, ce choix assumé de la lenteur et de la légèreté n’est pas sans risque : certains pourront ressentir une certaine monotonie, une répétitivité légère dans les boucles d’exploration et de collecte. Mais c’est aussi cette fidélité à son rythme propre, cette obstination à ne pas céder à la surenchère, qui confère au jeu une beauté discrète et une profondeur méditative rare.
De planètes pastelles en silences nacrés, l’univers s’effrite en beauté
Visuellement, Pilo and the Holobook s’apparente à un rêve d’enfant griffonné sur le coin d’un carnet oublié. Chaque planète que vous explorez est une bulle suspendue dans le vide, éclatante de couleurs tendres, peuplée de formes rondes et de textures volontairement lisses. Ici, point de réalisme oppressant ni de prouesses techniques criardes : tout respire la douceur, l’épure, une sorte d’innocence graphique assumée.
La direction artistique, minimaliste mais jamais pauvre, déploie une symphonie de tons pastel qui évolue subtilement au fil des biomes visités. Des plaines florales aux îles cristallines, en passant par des forêts de corail pétrifiées, chaque environnement est un tableau mouvant, baigné d’une lumière tamisée évoquant la nostalgie de fins d’après-midi d’été trop vite oubliés. Ce choix esthétique n’est pas anodin : il amplifie la sensation d’un monde en sursis, d’un univers fragile qu’un simple souffle pourrait effacer.
Les animations, quant à elles, s’inscrivent dans une gestuelle douce et fluide. Pilo bondit, glisse et collectionne avec une candeur désarmante, chaque mouvement renforçant l’impression que vous n’êtes pas ici pour conquérir, mais pour témoigner. Même les effets spéciaux – apparition d’un autocollant, activation d’un mécanisme oublié – sont traités avec discrétion, sans jamais trahir l’harmonie générale de l’univers.
Côté bande-son, Pilo and the Holobook choisit la voie de la subtilité. Les compositions musicales, principalement orchestrées autour de nappes synthétiques légères et de mélodies acoustiques délicates, accompagnent votre progression sans jamais l’envahir. C’est une musique qui respire, qui laisse des blancs, qui ose parfois le silence pour mieux souligner la solitude cosmique de votre périple.
Les bruitages environnementaux, eux aussi, participent à cette immersion feutrée : bruissement d’herbe, éclat cristallin d’un fragment collecté, échos lointains d’une planète endormie. Quant aux rares voix entendues – celles du Professeur Chiron notamment – elles sont portées par un doublage sobre et sincère, en phase avec l’émotion contenue du récit.
Pilo and the Holobook n’est pas un jeu qui cherche à éblouir. Il cherche à toucher, à laisser une empreinte visuelle et sonore légère mais tenace, comme le souvenir d’un rêve dont on se réveille encore ému sans savoir pourquoi.
Les cicatrices invisibles d’un voyage aux confins de la simplicité
Sous ses airs de promenade étoilée, Pilo and the Holobook cache une structure technique solide, même si son ambition mesurée laisse transparaître quelques fragilités discrètes. Sur Nintendo Switch, le titre affiche une fluidité exemplaire : animations stables, temps de chargement presque imperceptibles, et transitions douces entre les différentes planètes. Cette performance sans accrocs participe à l’impression d’évoluer dans un monde de velours, sans jamais être brutalement ramené à la réalité par un accroc technique.
Techniquement, la simplicité graphique du jeu travaille en sa faveur : peu d’effets de particules complexes, peu de surcharge visuelle, ce qui permet au moteur de jeu de privilégier la constance et la lisibilité. Même dans les rares zones légèrement plus animées – où plusieurs éléments environnementaux interagissent – Pilo and the Holobook reste fidèle à son esthétique sans céder aux ralentissements.
En matière d’accessibilité, le jeu fait preuve d’une louable bienveillance : interface épurée, indications visuelles discrètes mais claires, commandes simples et adaptables. Aucun obstacle ne vient entraver la progression, même pour les plus jeunes joueurs ou ceux peu familiers des jeux d’exploration. Toutefois, on pourrait regretter l’absence d’options de personnalisation plus poussées, notamment pour ajuster la taille des textes ou activer des aides supplémentaires pour l’orientation sur certaines planètes plus labyrinthiques.
Quant à la rejouabilité, elle repose avant tout sur l’envie de compléter entièrement son Holobook : chaque autocollant manqué devient une invitation à revenir fouiller sous chaque pierre, à contempler plus attentivement chaque recoin. Mais au-delà de cette chasse douce aux souvenirs, Pilo and the Holobook n’offre pas de fins alternatives, pas de surprises cachées majeures – seulement la satisfaction pure et simple d’avoir su tout observer, tout consigner, avant que le grand silence ne referme son manteau sur ces mondes oubliés.
Pilo and the Holobook est ainsi fidèle jusqu’au bout à sa philosophie : il n’est pas un jeu conçu pour vous happer dans une boucle infinie. Il est un murmure doux, un voyage à taille humaine, destiné à être terminé, refermé, et peut-être, un jour, rouvert, comme un livre d’images égaré au fond d’une étagère, que l’on feuillette à nouveau avec un sourire teinté de mélancolie.
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