Assassin’s Creed Shadows. Parler de jeu de la dernière chance pour Ubisoft n’est plus une exagération, mais un constat brutal. Après une série d’échecs et de décisions controversées, l’éditeur joue ici bien plus qu’un simple succès commercial : l’avenir même de son fleuron vidéoludique est en jeu.
Trois reports successifs, une refonte chaotique à la suite de polémiques brûlantes, une campagne promotionnelle oscillant entre coups de génie et décisions aberrantes… Shadows débarque enfin sur nos consoles ce 20 mars 2025, dans un climat où l’attente est à la hauteur des doutes. Alors, véritable renaissance de la licence ou chant du cygne pour Ubisoft ? Il est temps d’entrer dans l’ombre pour le découvrir.
Dans l’ombre de la polémique
Avant même d’évoquer Assassin’s Creed Shadows en tant que jeu, il est nécessaire de poser les bases. Non pas en ressassant les controverses habituelles qui entourent sa sortie – procès en cours, décisions erratiques ou reports successifs – car tout cela est hors de propos ici. L’objectif n’a jamais été de faire du sensationnalisme ou d’alimenter le moulin des polémiques extérieures à l’œuvre elle-même.
Si vous cherchez du scandale ou des potins sur le développement, passez votre chemin. Ici, nous parlons du jeu. Rien que du jeu.
Cependant, une controverse mérite d’être abordée : celle de Yasuke. Car s’il y a bien un sujet qui a cristallisé les débats ces derniers mois, c’est le choix d’Ubisoft d’inclure ce personnage dans une licence qui, jusqu’ici, ne s’était jamais aventurée hors de son cadre géographique strict.
La saga Assassin’s Creed a toujours jonglé entre fiction et réalité, s’inspirant d’événements, de lieux et de personnages réels, sans pour autant s’enchaîner aux impératifs de l’Histoire. Pourtant, jusqu’à présent, chaque protagoniste principal était directement issu du pays dans lequel se déroulait l’intrigue. Altaïr en Terre Sainte, Ezio en Italie, Connor en Amérique, Edward dans les Caraïbes, Bayek en Égypte… Une cohérence culturelle et historique qui semblait être une signature de la franchise.
C’est pourquoi l’introduction d’un samouraï d’origine africaine dans le Japon féodal a soulevé des critiques. Non pas parce que Yasuke est un personnage multiculturel – la saga a toujours mis en avant des Assassins venus de tous horizons – mais parce que les joueurs s’attendaient, cette fois encore, à incarner un Japonais.
Ubisoft a choisi une approche bicéphale, alternant entre les récits de Naoé, la shinobi en quête de vengeance, et de Yasuke, le samouraï noir au service de Nobunaga. Et si la communication autour de ce choix a oscillé entre auto-justifications maladroites et contradictions ridicules – passant de « il s’agit d’un personnage historique » à « la saga n’a jamais été purement historique » –, la véritable question est ailleurs : Yasuke a-t-il sa place dans Assassin’s Creed Shadows ?
Et la réponse, une heure après avoir lancé le jeu, ne fait aucun doute.
Loin de chercher un réalisme rigide, Assassin’s Creed Shadows puise son essence dans le Jidaigeki Nekketsu, ce pan du cinéma japonais qui sublime les récits de sabre et d’honneur. Les ombres de Yojimbo, Zatoichi ou encore Harakiri planent sur chaque scène, et Yasuke n’est pas un anachronisme, mais une incarnation de cette mythologie cinématographique. Un personnage dont le parcours fait sens dans cet univers, aussi bien par son lien avec Oda Nobunaga que par son opposition viscérale avec Naoé.
Si Ubisoft avait eu l’intelligence d’assumer dès le départ cette inspiration, au lieu de se perdre dans des justifications maladroites, il est probable que la polémique n’aurait jamais enflé. Car Assassin’s Creed Shadows n’est pas une fresque historique pure : c’est une lettre d’amour au Japon féodal tel qu’il a été rêvé par le cinéma et la littérature.
Derrière les débats stériles, une réalité s’impose : Ubisoft a accouché d’un hommage magistral à la culture japonaise, un jeu porté par une équipe passionnée, rigoureuse et inspirée. Une œuvre ambitieuse et viscérale, qui dépasse largement la somme de ses polémiques.
Deux destins fracturés
Assassin’s Creed Shadows est l’histoire d’un rendez-vous manqué, d’un gâchis narratif qui, ironie du sort, doit davantage à des erreurs de communication qu’à une véritable faiblesse d’écriture. Une leçon cruelle pour une industrie où les décisions créatives semblent de plus en plus dictées par l’écho assourdissant de trois anonymes sur Twitter plutôt que par une véritable vision artistique.
Le récit s’ouvre sur Yasuke, esclave au service d’un marchand portugais, venu négocier un droit de passage sur les terres d’Oda Nobunaga. Séduit par la puissance du seigneur de guerre, Yasuke se détache de son maître et entre à son service, marquant ainsi le début de son ascension.
Mais rapidement, le jeu bascule sur Naoé, la véritable héroïne de cet opus. Shinobi en quête de vengeance, son village a été rasé par les forces d’Oda, et elle traque désormais une mystérieuse faction masquée, responsable du vol d’un trésor ancestral que sa famille devait protéger.
Et c’est là que le bât blesse.
Yasuke disparaît presque entièrement du premier acte, ne devenant jouable qu’au début du second. Loin d’être une décision purement narrative, cette éclipse artificielle est le fruit d’une réécriture de dernière minute, une tentative maladroite de contenir les polémiques entourant son inclusion. Les stigmates de ce charcutage sont omniprésents. Yasuke, durant tout ce premier segment, n’est qu’un PNJ de luxe, un fantôme d’intrigue amputé d’une partie de son développement.
Et c’est terriblement dommage, car son arc narratif est au moins aussi puissant que celui de Naoé. Son ascension au sein du clan Nobunaga, son conflit intérieur entre loyauté et quête d’identité, tout cela méritait une présence à l’écran plus affirmée.
Malgré ces ajustements maladroits, le travail d’Ubisoft reste remarquable. À moins d’être particulièrement attentif aux débats ayant entouré le développement, ces incohérences restent discrètes et n’entament pas la solidité de l’ensemble, d’autant qu’elles s’effacent rapidement une fois le second acte enclenché.
Car si Assassin’s Creed Shadows suit une trame classique, son véritable tour de force réside ailleurs : dans sa mise en scène magistrale. Oui, l’histoire souffre des mêmes écueils que tous les jeux Ubisoft depuis plus d’une décennie : un scénario linéaire, des personnages manichéens, des motivations claires et sans surprise. Mais tout cela est transcendé par une exécution visuelle et sonore qui puise ses racines dans le cinéma Jidaigeki Nekketsu.
Chaque scène est un hommage à Yojimbo, Zatoichi ou Harakiri, chaque mouvement de caméra, chaque plan stylisé rappelle les grandes heures du cinéma de sabre japonais. Cette approche ne change pas la nature du récit, mais elle sublime chaque moment, transformant la simplicité en spectacle, le convenu en jubilation pure.
Et pour la première fois dans l’histoire de la franchise, Assassin’s Creed ose confronter ses personnages aux conséquences de leurs actes. Naoé, en particulier, fait face à ses choix, dans une évolution qui, à défaut d’être révolutionnaire, parvient à toucher et à remuer.
Alors oui, Assassin’s Creed Shadows reste un jeu Ubisoft, avec ses travers habituels. Mais cette fois-ci, la mise en scène offre enfin à la saga ce qu’elle a toujours cherché à atteindre : une grandeur cinématographique à la hauteur de ses ambitions.
Un véritable Tenchu en monde ouvert
Dès les premiers instants, Assassin’s Creed Shadows impressionne par la fluidité et la nervosité de son gameplay, redéfinissant une fois encore ce que signifie être un Assassin. Pendant une vingtaine d’heures, vous incarnez exclusivement Naoé, et cette restriction initiale n’est pas anodine : elle permet de se réapproprier une jouabilité enfin centrée sur l’infiltration, loin de la surpuissance débridée des héros des derniers opus.
Naoé n’est pas une guerrière invincible. Elle n’a rien de commun avec Eivor, Bayek ou Kassandra. Fragile, incapable de survivre à un affrontement direct contre plusieurs ennemis, elle ne peut compter que sur son agilité, ses outils et son intelligence pour survivre. Un duel face à un adversaire puissant peut la réduire à néant en un seul coup, et la sensation de vulnérabilité est constante.
Cette fragilité impose une approche méticuleuse et réfléchie, et Ubisoft l’a parfaitement anticipée en offrant un arsenal redoutable pour l’infiltration. Naoé dispose d’un katana, redoutable en combat rapproché, ainsi que d’un tanto, plus léger et conçu pour des assassinats rapides et silencieux. Une autre arme vient enrichir son style de combat : le kusarigama, une lame attachée à une chaîne, permettant d’attaquer à distance tout en contrôlant l’espace. À tout moment, il est possible d’équiper deux armes différentes et de les alterner instantanément pour adapter sa stratégie aux circonstances.
L’équipement de Naoé ne s’arrête pas là. Bombes fumigènes, shurikens, clochettes pour attirer l’ennemi ou encore kunai tranchants, chaque outil a son importance. Il ne s’agit pas de gadgets optionnels, mais bien d’éléments essentiels pour survivre. L’infiltration n’a jamais été aussi cruciale dans un Assassin’s Creed, et cet épisode est le premier de la nouvelle formule à réintégrer pleinement la lame secrète en combat, notamment en combat rapproché lorsque Naoé manie le tanto.
Le système de combat suit cette logique. Naoé virevolte avec une agilité stupéfiante, enchaînant attaques précises, parades et esquives fluides. Pourtant, malgré sa rapidité d’exécution, un affrontement prolongé contre un ennemi bien armé peut vite tourner au cauchemar. Ce n’est pas un jeu où l’on fonce tête baissée : la survie repose sur l’anticipation, le positionnement et l’analyse constante de l’environnement. Pour l’aider, Naoé dispose bien entendu de la vision d’Aigle, lui permettant de mettre en surbrillance ennemis et trésors pour les marquer.
L’exploration, elle aussi, se met au service de cette philosophie de jeu. Naoé escalade avec une aisance rare, se faufile dans les ombres et se fond dans le décor. Le grappin devient rapidement un outil indispensable, offrant un nouveau degré de verticalité aux infiltrations. Pour la première fois depuis des années, Assassin’s Creed ne privilégie plus l’option la plus directe. L’approche furtive est non seulement encouragée, mais nécessaire pour éviter des rencontres fatales.
Ubisoft a également revu l’intelligence artificielle des ennemis. Si les premières zones restent relativement accessibles, le niveau de difficulté monte brutalement après une vingtaine d’heures. Les soldats ne se contentent plus de suivre des trajectoires prévisibles. Ils poursuivent au-delà de leur périmètre, appellent des renforts et fouillent les cachettes en cas d’alerte. Plus les actes avancent, plus il devient difficile de se sortir indemne d’un simple combat. Se faire repérer ne signifie plus seulement perdre un instant de discrétion : cela peut condamner toute une infiltration et vous transformer en proie sur l’ensemble du territoire.
Ce système s’intègre parfaitement à l’une des nouveautés majeures de cet opus : l’Avis de Recherche. Désormais, déclencher une alarme dans un château ne se résume pas à un repli temporaire. Un personnage découvert en pleine infiltration devient activement recherché dans toute la région. Plus question de fuir pour mieux revenir : tant que le niveau de recherche reste élevé, chaque garde et chaque soldat est une menace immédiate, rendant le moindre déplacement périlleux. Cette mécanique impose une nouvelle tension dans l’exploration, où chaque action doit être réfléchie en conséquence.
L’autre innovation capitale concerne la gestion des ombres. Pour la première fois dans la série, Assassin’s Creed Shadows intègre un véritable jeu de lumière dynamique, où chaque source de lumière impacte directement la visibilité. Une bougie allumée ou une lanterne éclairant un couloir peut compromettre une infiltration. Il est donc impératif d’utiliser les outils à disposition pour éteindre ces sources et se fondre dans l’obscurité. Ce système révolutionne totalement l’approche furtive et transforme la progression en un puzzle d’ombres et de lumière où chaque décision compte.
Et si Assassin’s Creed Shadows reprend la formule classique de la série, il la magnifie en lui insufflant l’ADN d’un véritable Tenchu moderne. L’ensemble du level design est pensé pour l’infiltration : passages secrets, recoins dissimulés, routes alternatives… Il n’y a jamais une seule solution pour atteindre son objectif. S’introduire dans un domaine ennemi et en ressortir sans jamais se faire repérer devient une expérience incroyablement gratifiante, un retour aux sources que la série n’avait jamais autant assumé.
La force brute face à l’ombre furtive
Lorsque Yasuke devient jouable après une vingtaine d’heures, Assassin’s Creed Shadows opère un changement radical de gameplay. Loin de la furtivité méthodique et chirurgicale de Naoé, Yasuke incarne l’exact opposé : une force de la nature, un guerrier impitoyable dont l’approche repose entièrement sur la confrontation directe.
L’incarner, c’est renoncer à l’agilité et à la fluidité qui caractérisent l’expérience avec Naoé. Yasuke est plus massif, plus lent, plus rigide dans ses déplacements. Son poids se ressent dans chaque mouvement : il court avec une puissance brute, capable de défoncer les portes et de renverser les ennemis sur son passage ; mais manque de maniabilité, escalade avec difficulté et peine à atteindre les hauteurs. La plupart des zones en hauteur lui sont inaccessible. Toute notion d’infiltration disparaît presque entièrement lorsqu’on le contrôle. Il ne peut se cacher dans les ombres, grimper avec aisance, ni utiliser les outils de dissimulation de Naoé.
Mais ce serait une erreur de voir en lui un personnage désavantagé. Yasuke ne s’infiltre pas : il assiège. Son rôle dans Shadows est de prendre des bastions ennemis par la force brute, d’enfoncer des portes, de déclencher des batailles où il fait face à des vagues d’ennemis. Il ne traque pas ses adversaires dans l’ombre ; il les affronte de front, sabre au clair, sans jamais reculer, leur offrant une mort honorable lame à la main.
Ubisoft a conçu ce gameplay comme un exutoire de puissance, une alternative rafraîchissante à la furtivité millimétrée de Naoé. Chaque coup porté par Yasuke a du poids, chaque frappe fait trembler le sol, chaque combat dégage une brutalité viscérale. Son arsenal reflète cette approche : les masses écrasent les ennemis en un seul coup, le katana fend l’air avec une lourdeur maîtrisée, la naginata tranche de larges zones avec une précision meurtrière. Il peut également manier le teppo, un fusil à mèche capable de percer les armures adverses, ou encore un arc long pour abattre ses cibles à distance.
Mais si Yasuke incarne la force, il n’a rien d’un Assassin. Il ne possède ni la lame secrète, ni la Vision de l’Aigle permettant de percevoir ses ennemis à travers les murs. L’approche tactique du personnage repose sur son environnement, et non sur ses sens. Il peut déplacer des éléments de décor, briser des obstacles pour révéler des chemins cachés, ou encore porter de lourds pots d’huile pour ensuite les faire exploser en plein cœur des lignes ennemies. Là où Naoé maîtrise l’ombre, Yasuke domine la terre et le feu.
Cette opposition entre les deux personnages est au cœur de l’expérience. Ubisoft ne s’est pas contenté d’intégrer deux styles de jeu distincts ; il a créé une dynamique de complémentarité qui transforme totalement la progression. Un personnage recherché dans une région peut céder la place à l’autre, permettant de poursuivre une enquête sans être traqué. Certaines quêtes, dialogues et activités ne sont accessibles qu’à l’un ou l’autre, poussant à alterner les perspectives.
Mais si ce système fonctionne parfaitement d’un point de vue narratif et ludique, il manque une pièce maîtresse qui aurait pu transcender cette dualité : la possibilité d’interactions conjointes. Assassin’s Creed Shadows pousse la complémentarité de ses deux héros, mais ne permet jamais de les voir combattre côte à côte, de créer des stratégies communes, ou même de jouer sur leur synergie en temps réel. Un système inspiré de Ghost Recon Wildlands aurait permis de pousser cette dualité à son paroxysme, et l’absence de cette mécanique laisse un léger goût d’inachevé.
Néanmoins, cette alternance de gameplay entre ombre et force confère à Shadows une richesse et une variété inédites dans la saga. C’est un équilibre délicat, mais terriblement efficace, qui redéfinit la série en profondeur, en lui offrant une véritable diversité d’approche, adaptée à chaque situation.
Un monde qui n’a jamais été aussi vivant
Le plus grand défi pour Assassin’s Creed Shadows n’était pas son gameplay, ni son intrigue, mais bien son monde. Depuis plusieurs opus, Ubisoft s’est heurté aux mêmes critiques récurrentes : des cartes trop grandes, trop vides, souffrant d’un level design trop plat et d’activités trop limitées.
Dire que Shadows corrige ces défauts relève de l’euphémisme. Le travail accompli est titanesque. Le Japon féodal est immense, divisé en une dizaine de régions, chacune vaste, unique et regorgeant de vie.
Mais si cette densité peut effrayer au premier abord, la réalité s’impose rapidement : le world design et le level design ont été minutieusement pensés. Ce monde n’a rien de l’Angleterre plate de Valhalla, ni des étendues arides de l’Égypte d’Origins. Ici, le Japon impose ses reliefs, ses montagnes escarpées, ses forêts denses, et ses villages enclavés entre vallées et rivières. Ce territoire n’est pas une simple carte à parcourir en ligne droite, mais un environnement vivant, réaliste et contraignant.
L’époque où l’on pouvait traverser une carte entière en ligne droite en exploitant une faille de collision façon Skyrim est révolue. Votre personnage glisse sur les rochers, trébuche sur les pentes trop abruptes et ne peut pas grimper partout. Il faut contourner, trouver des sentiers, suivre les routes naturelles, un changement qui oblige à redécouvrir l’exploration autrement. Et c’est là que réside le véritable génie de Shadows : le monde ne paraît jamais vide, car c’est sur ces chemins et ces routes que la vie se manifeste.
Ubisoft a surpassé tout ce qui avait été fait jusqu’ici en matière d’événements aléatoires et de densité du monde. Les routes ne sont jamais silencieuses : des voyageurs croisent votre chemin, des gardes malmènent un paysan, une bataille éclate entre deux factions rivales, un marchand blessé demande de l’aide. Ces rencontres, bien qu’apparemment anecdotiques, créent un monde organique, où chaque détour réserve son lot de surprises.
L’exploration est régulièrement récompensée. Chaque zone regorge de villages marchands, temples reculés, camps ennemis bien cachés dans les montagnes. Certains de ces lieux ne sont même pas indiqués sur la carte, renforçant l’envie d’errer sans but précis. Il n’y a rien de plus grisant que de tomber par hasard sur un repaire de bandits, perdu au fin fond d’une vallée, et d’en faire votre prochain objectif.
Mais l’innovation la plus marquante reste l’introduction des saisons dynamiques, une mécanique qui transforme radicalement la manière dont on perçoit ce Japon féodal. Contrairement aux changements climatiques classiques des autres jeux, Shadows modifie le monde en profondeur à chaque passage de saison.
Le temps s’écoule naturellement au fil des quêtes, des voyages rapides et des événements majeurs, déclenchant une transition vers une nouvelle saison. Et ici, le changement ne se limite pas à un simple filtre graphique : le pays entier se métamorphose.
En hiver, les rivières se figent sous la glace, permettant de les traverser à pied, mais rendant la marche plus glissante et périlleuse. En été, la chaleur assèche les terres, réduisant certains points d’eau et changeant les routes praticables. Les PNJ, eux aussi, s’adaptent : en hiver, ils se couvrent de lourds manteaux et de capes épaisses, tandis qu’en été, les tenues s’allègent. Ce monde respire, évolue et réagit à votre progression.
Mais au-delà du climat, ces changements de saison impactent également le gameplay. Un château assiégé en hiver ne sera pas défendu de la même manière qu’en été. La neige rendra certaines infiltrations plus complexes, le givre fera craquer le bois sous vos pas, les stalactites pourront se décrocher et alerter les gardes. Chaque saison redéfinit la carte et les stratégies d’approche, ajoutant une profondeur inédite à l’expérience.
Et que dire de la météo ? Cette dernière également est dynamique et change brutalement l’approche du jeu. Une pluie diluvienne vient rendre les parois glissantes, tandis qu’un orage couvrira plus facilement le bruit de vos pas.
Enfin, Shadows introduit un nouveau système d’exploration basé sur des éclaireurs. Contrairement aux précédents opus où les quêtes se résumaient à suivre un marqueur sur la carte, cet épisode opte pour un guidage beaucoup moins assisté. La plupart des missions vous fournissent des indices généraux – une région, une ville, un point de repère visuel – et c’est à vous de trouver la destination exacte.
Pour ceux qui préfèrent une approche plus directe, les éclaireurs sont là pour aider. Moyennant « finances », ils peuvent révéler des objectifs précis, signaler des zones dangereuses, ou même rapporter certaines ressources précieuses préalablement marquées par vos soins. À chaque fin de saison, les éclaireurs vous rapportent ces matériaux essentiels, indispensables pour le développement de votre domaine.
Mon petit jardin zen
Votre domaine. Une simple base d’opérations ? Pas cette fois. Introduit timidement dans Assassin’s Creed Valhalla, cet élément de gameplay atteint ici une nouvelle dimension, à la croisée du hub stratégique et du simulateur de gestion personnalisable.
Très tôt dans l’aventure, vous obtenez votre propre Ligue, un territoire vaste et entièrement modulable, où vous gérerez l’ensemble de vos opérations sur le sol japonais. Ce n’est plus seulement un lieu de repos entre deux missions : c’est le centre névralgique de votre progression, un espace qui grandit avec vous, et surtout, qui vous appartient vraiment.
Chaque bâtiment a une utilité spécifique, débloquant des avantages uniques. Un forgeron permet d’améliorer et de graver votre équipement, un temple accroît votre expérience et renforce les bienfaits des sanctuaires croisés sur votre route, tandis que la salle de commandement centralise la gestion de vos éclaireurs et opérations stratégiques. Ce n’est plus simplement un élément cosmétique : votre domaine influence directement votre efficacité sur le terrain, en optimisant vos ressources et vos capacités.
Mais ce qui rend cette mécanique véritablement unique, c’est la liberté offerte au joueur. Passer en mode édition transforme votre domaine en un véritable simulateur d’aménagement. Tout est personnalisable : agencement des bâtiments, création de jardins, mobilier, disposition des arbres et du terrain. Il ne s’agit plus d’installer des structures prédéfinies, mais de façonner un espace à votre image, avec une précision jamais vue dans la saga.
L’envie de décorer ne repose pas uniquement sur un catalogue d’objets standardisés. Les éléments de personnalisation se débloquent de deux manières : en achetant des décorations auprès de marchands disséminés à travers le Japon, ou en récupérant des objets dans les coffres et trésors disséminés dans le monde. Cette approche encourage l’exploration minutieuse, en donnant une raison supplémentaire de fouiller les environnements plutôt que de simplement enchaîner les objectifs principaux.
Votre domaine est aussi un lieu d’accueil pour vos alliés, ces personnages secondaires qui, bien que non jouables, jouent un rôle clé dans l’évolution de l’histoire et du gameplay. Mais Ubisoft fait ici preuve d’une audace rare : ces alliés ne sont ni imposés ni permanents.
Vous êtes libre de refuser leur présence, de choisir qui vous accompagne et qui ne vous convient pas. Plus encore, vos décisions influencent directement leur comportement. Certains pourront se détourner de vous ou choisir de ne pas vous rejoindre si vos choix ne correspondent pas à leurs valeurs. Ce n’est plus un simple rassemblement de personnages secondaires figés dans un rôle précis : c’est une dynamique sociale vivante, où chaque individu réagit à votre parcours et à vos choix.
Loin d’être un simple ajout accessoire, la gestion du domaine s’impose comme une véritable respiration au cœur de l’aventure. Après les infiltrations tendues et les batailles brutales, retrouver un espace personnel, façonné à sa manière, offre un contrepoint apaisant et gratifiant.
Ubisoft ne s’est pas contenté d’ajouter un hub fonctionnel. Ils ont conçu un lieu qui évolue avec le joueur, un refuge à son image, renforçant cette sensation d’immersion et d’attachement à ce Japon féodal en perpétuel mouvement.
Splendeur et rigidité
Si Assassin’s Creed Shadows impressionne par sa direction artistique somptueuse, il trébuche sur un écueil technique qui l’empêche d’atteindre une véritable perfection visuelle. Le jeu affiche des paysages à couper le souffle, une reproduction magistrale du Japon féodal, et un cycle des saisons qui transforme profondément les décors, sans le moindre lag notable ni bug majeur. Pourtant, malgré ces grandes réussites visuelles, certains détails viennent entacher le tableau.
Les environnements sont un véritable chef-d’œuvre, avec des panoramas qui flirtent avec l’irréel. Chaque région possède son identité propre, et le travail sur la lumière sublime les effets météorologiques. L’hiver enveloppe le monde d’un manteau glacé et d’un silence pesant, le printemps explose en nuances florales vibrantes, l’automne embrase les forêts de ses teintes rougeoyantes. Ubisoft signe ici son plus bel Assassin’s Creed, et probablement l’un des open worlds les plus impressionnants du moment.
Mais cette splendeur ne s’étend pas à tout. Là où le jeu brille par ses décors, les personnages, eux, accusent un retard certain. Plus détaillés que dans les précédents opus, ils conservent une rigidité qui trahit les limites du moteur. Les expressions faciales manquent de naturel, et bien que les animations aient été améliorées, les dialogues souffrent encore de certaines mécaniques vieillissantes. Il y a du mieux, mais nous sommes encore loin des standards actuels.
L’une des plus grandes faiblesses techniques du jeu réside dans la transition entre gameplay et cinématique. Si les séquences narratives sont mises en scène avec brio, s’inspirant une fois encore du cinéma Jidaigeki, la séparation avec le jeu est trop marquée. Cette coupure brutale ramène à une époque où les jeux peinaient à fondre leurs cinématiques dans l’action, ce qui crée une rupture dans l’immersion.
Malgré ces défauts, le jeu reste solide sur le plan technique. Il tourne sans accroc, sans ralentissements, et bénéficie d’une stabilité exemplaire pour un open world aussi vaste. Néanmoins, certaines zones tendent à se répéter, créant une impression de déjà-vu dans certains décors.
Heureusement, la bande-son vient sublimer l’expérience. Elle alterne entre compositions japonaises traditionnelles et reprises du thème emblématique de la licence, tout en s’autorisant des accents rock électrisants lors des phases d’action. Ce mélange réussi confère à chaque affrontement une intensité dramatique qui renforce l’immersion, et encore une fois, rappelle les inspirations cinématographiques omniprésentes du jeu.
Assassin’s Creed Shadows n’atteint pas l’excellence technique absolue, mais il compense par une direction artistique magistrale, une mise en scène soignée, et une bande-son envoûtante qui hisse son ambiance au sommet de la franchise.
Le poids des saisons et l’ombre du commerce
Au-delà de son gameplay et de sa narration, Assassin’s Creed Shadows introduit plusieurs nouvelles mécaniques, certaines pertinentes, d’autres plus discutables.
L’un des ajouts les plus visibles est le nouveau hub principal, une interface unifiée qui permet d’accéder aux épisodes récents de la franchise directement depuis Shadows. L’idée, sur le papier, est intéressante, transformant le jeu en une porte d’entrée vers tout l’univers Assassin’s Creed. Mais dans son état actuel, le système est mal pensé et inutilement long. Il faut d’abord lancer Shadows, naviguer jusqu’à l’opus désiré, cliquer sur lancer le jeu, attendre le chargement dudit jeu… avant qu’il ne se lance réellement. Ce qui aurait pu être une intégration fluide et naturelle se transforme donc en une perte de temps frustrante, dépourvue d’intérêt réel pour l’instant.
Plus pertinent, Shadows introduit un système de saisons, reprenant le concept des assassinats libres de Hitman 3. Chaque semaine, des défis spécifiques permettent de gagner des pièces, débloquant de nouveaux paliers de récompenses gratuites. Ces défis, intégrés directement à l’univers du jeu, impliquent des cibles à éliminer, dissimulées dans des châteaux ou des villages, renforçant l’aspect dynamique et évolutif du monde. Ce système, bien pensé, incite à revenir régulièrement et prolonge l’intérêt du jeu au-delà de la quête principale.
Sans surprise, Ubisoft n’a pas oublié d’intégrer une boutique HEX. Cette dernière est déjà en place, mais non fonctionnelle au moment du test, rendant impossible toute évaluation des prix. Pour l’instant, elle ne concerne que des éléments cosmétiques, mais reste une inconnue majeure quant à l’impact qu’elle aura sur l’expérience globale.
En termes de contenu, Shadows affiche une durée de vie colossale, oscillant entre 50 et 150 heures, en fonction du degré d’exploration et du temps passé sur les activités annexes. Un gros endgame est au programme, avec de nombreuses possibilités pour d’éventuelles extensions ou DLC. L’ensemble donne l’impression d’un jeu pensé pour durer, Ubisoft ayant visiblement misé sur la longévité de l’expérience.
Mais s’il y a une véritable réussite dans cette structure, c’est l’ampleur des options de personnalisation. Pour la première fois dans la série, Shadows permet d’ajuster chaque élément de difficulté, de la complexité des parades à la réussite automatique des assassinats. Tout est modulable, offrant une expérience taillée sur mesure, que l’on préfère un défi exigeant ou une aventure plus accessible.
Enfin, Ubisoft propose un mode immersif, poussant l’authenticité encore plus loin. Il est possible de jouer avec les doublages japonais et portugais en simultané, renforçant l’immersion dans ce Japon du XVIe siècle. Malheureusement, la version française souffre d’un doublage en demi-teinte, parfois trop artificiel pour convaincre pleinement.
Avec ces ajouts, Assassin’s Creed Shadows ne se contente pas de suivre la formule de ses prédécesseurs. Il tente d’affiner et de diversifier l’expérience, avec des idées pertinentes et d’autres encore perfectibles, mais dans l’ensemble, l’ensemble fonctionne et donne à ce nouvel opus une véritable profondeur.
0 commentaires